On est rentrés

oct 09, 2015 / 0 comments

J’ai profité de mes dernières vacances estudiantines pour rejoindre des amies parties visiter l’Europe en train. Nous sommes en Septembre, il fait beau, nous avons notre sac de randonnée, nos baskets et notre pass « Interrail » qui nous permet de prendre les trains que l’on veut dans toute l’Europe. De bonnes vacances en perspective !
C’est en voulant passer de la Croatie à la Slovénie que nous nous sommes retrouvées « coincées » dans le pays, les frontières ayant été fermées pour bloquer les flux de migrants. Au terme d’une journée d’attente, nous avons finalement trouvé un bus, qui, après plusieurs tentatives et de nombreuses heures passées aux frontières (où se trouvaient tant migrants que médecins, journalistes que policiers), est parvenu à nous déposer dans l’espace Schengen.

Cette aventure, plutôt amusante et sans grande conséquence, m’a quand même fait réaliser beaucoup de choses. Notamment qu’être privé de chez soi, être un « déraciné », doit être une des expériences les plus traumatisantes qui soit.

« Chez nous », « chez moi »… Qu’est-ce que cela signifie pour chacun d’entre nous ? Si on me posait la question, au hasard d’une discussion du quotidien, ma réponse varierait sûrement selon le contexte.

Si je me trouvais en France, je répondrais probablement « Grenoble », ma ville natale, où les montagnes m’ont vu grandir.
À Grenoble, je répondrais plus précisément « Bernin », la commune où vivent mes parents : celle de mon enfance, de ma première école et d’une partie de mes amis.
À l’étranger, je répondrais encore « La France », non sans une pointe de fierté dans la voix, pour ce que j’aime ce pays.
Mais jusqu’alors, « L’Europe » n’était pas une réponse qui me venait spontanément à l’esprit. Ces pays semblent certes près de nous, mais ils sont tout aussi loin que le reste du monde puisque la distance qui nous sépare d’un lieu ne se mesure pas en kilomètre, mais bien par la volonté que l’on a de s’y rendre.
Nous avions eu cette volonté, une envie d’aventure, de découverte, de profiter de notre jeunesse et du peu de temps que nous avions avant d’être prises par les obligations de l’âge adulte. Mais nous étions simplement des voyageuses dans des pays étrangers.
Pourtant, dans ce bus, entourées d’inconnus, au beau milieu de la nuit, dans un pays que nous ne connaissions absolument pas, dont on ne parlait pas la langue et dans lequel personne ne nous attendait, nous avions crié : « On est rentrées ! ».

Et de fait, nous nous sentions chez nous. Plus « chez nous », en tout cas, que nous le furent cinq minutes auparavant. Nous pouvions utiliser nos euros, nous avions la nationalité européenne, et surtout, nous pouvions passer d’un pays à l’autre sans aucun souci.Mais l’euphorie passée, et le calme revenu dans le bus, une nouvelle pensée s’imposa violemment à mon esprit. Je ne peux alors plus m’empêcher de visualiser ces gens que l’on a croisés lors de notre voyage, aux détours des gares, sur les quais, aux stations de bus. Ceux que l’on a laissés derrière, à la frontière.
On parle beaucoup de ce qu’ils « veulent », de ce qu’ils « cherchent », d’où ils vont ou même de comment les nommer. Mais dans ce bus, j’ai réalisé autre chose, dont il me semble impossible, dans ma situation, de percevoir toutes les implications.

Eux ne pourront plus jamais crier « On est rentrés ! ».

 

Texte : Lou Cambie
Photo : Lou Cambie

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