Les révoltés des temps modernes ?

nov 21, 2016 / 0 comments

Ce mardi de novembre, je sortais de Pôle Emploi et passais devant le Palais de Justice. En bas des marches, un individu, seul, avec cinq pancartes et un drapeau français. Comme tout journaliste curieux qui se respecte, je l’ai donc abordé. Il s’appelle Jean-Pierre et dénonce une injustice dont il a été victime. Il s’agit d’une affaire qui remonte à 2012, dans laquelle il a perdu son emploi. Le sujet, ici, importe peu au final sur ma réflexion. Ce qui m’interpelle : pourquoi personne ne s'en soucie ?

En général, lorsqu’il y a une mobilisation pour une action, les syndicats agissent, des collègues de boulot soutiennent, s’intéressent, comprennent... des associations organisent l'action. Et lorsqu’on est tout seul, j’aurais tendance à dire qu’on arrête le combat, qu’on se démobilise en espérant que d'autres porteront le combat. J’ai donc interrogé Jean-Pierre. En premier lieu, il ne croit pas en l'action des syndicats. En deux mois devant le Palais de Justice, il en a vu défiler quelques uns concernant d’autres affaires. Les gros syndicats l’ont vu sans l'aborder, en l'ignorant gentiement. Mais pas plus. Sans aller jusqu’à la théorie du complot, il considère que les syndicats sont plus là pour faire passer la pilule que pour défendre les salariés. Pourquoi ne pas créer une action collective hors syndicat dans ce cas ? À ce moment-là, Jean-Pierre était seul, les 300 employés de la décriée entreprise “Confiance Immobilier” étant répartis dans toute la France, isolés. Seul Jean-Pierre agit.

Jean-Pierre n’a pourtant pas lésiné sur les moyens pour se faire entendre. Il était notamment dans la cellule action de Nuit Debout à Grenoble. Mais ses volontés de se faire entendre et de participer à ce mouvement porteur de changements n’ont pas été concluantes. Ne croyant plus en leurs modes d’actions, il a quitté le groupe. En parallèle, il a essayé de communiquer auprès des médias. Ignorance totale des médias nationaux. En ce qui concerne les médias locaux, un journaliste de Radio Isa est venu à sa rencontre (leurs bureaux donnent vues sur son terrain d’occupation). Le syndicat "précaires solidaires" devait transmettre ses documents au journal Le Postillon. Six mois plus tard, Jean-Pierre attend toujours qu’un média daigne parler de son affaire. Jean-Pierre reste définitement planté là, avec ces pancartes.

C’est donc toute la question, pourquoi tout le monde est indifférent du combat de Jean-Pierre ? Des personnes en tout genre qui crient à l’injustice, la période actuelle n'en manque pas. On se souvient de Maître Ripert, avocat menacé de radiation au printemps. Il était bien entouré et soutenu. Plus récemment encore, l'entreprise Ecopla qui a mobilisé jusqu'à Paris... Jean-Pierre n'a pas encore rejoint ceux qui crient au complot, considérés comme fous, devant une justice qu’ils considèrent comme gangrénée. Est-ce le drapeau bleu blanc rouge qu'il arbore fièrement qui freine certains élans de soutien ? Pendant mon entrevue avec lui, l’homme n’avait pas l’air anti-social, certe peut-être un peu cru dans le choix de ses mots mais certainement pas raciste lorsqu’il aide volontiers une personne, à priori étrangère, qui cherche une rue adjacente. Alors, oui, des indices montrent une affinité à droite dans ses propos quand il soutient les policiers. Il parle aussi de son grand-père qui s’est battu pour la France, de son père qui lui inculquait les valeurs de justice. Son discours est combatif. Et Jean-Pierre l’est, sur plusieurs fronts : il continue de s’occuper de sa mère de 70 ans, qui est “la dernière femme qui lui reste”, tout en dormant dans sa voiture, faute de mieux. Et malgré ces conditions très précaires, il se retrouve devant le Palais de Justice les lundis, mardis et jeudis “quand il ne fait pas trop mauvais” pour continuer à protester contre l'injustice dont il se dit victime. Il se démarque en cela des silencieux de la rue.

Jean-Pierre ne baisse pas les bras, pas encore

Combien de temps va-t-on laisser Jean-Pierre se battre tout seul dans la rue? Sommes-nous déjà tous insensibles à ces gens qui sentent victimes d'injustices ?

Ludovic Chataing, journaliste en recherche d’emploi à Grenoble.